Sur les traces de Sidi Boumediene – Spiritualité au pays des Ouzbeks

Sur les traces de Sidi Boumediene – Spiritualité au pays des Ouzbeks

(*) Par Dr Boudjemâa HAICHOUR

Tlemcen et Constantine, deux villes jumelles furent les capitales islamique et arabe de la culture. Toutes deux vont faire un pèlerinage spirituel et scientifique au pays des Ouzbeks. Toute l’Asie centrale fut le cadre de rayonnement culturel où d’ailleurs Djalâl ad-Dîn Rûmi institua le fameux concert spirituel, le samâ’ comme union liturgique avec le divin.

En épousant à l’âge de dix-neuf ans Gauher Khâtum, fille de Hodja  de Samarkand, Djalâl ad Dîn Rûmi fera la rencontre à Damas de Mohieddine  Ibn al Arabi et sera affilié à l’ordre Kubbrawyya avant de revenir à Konya, capitale des Seldjoukides pour enseigner la loi canonique. C’est dans le sillage de cette atmosphère, que j’ai voulu mettre en communion ces deux cités de la science et de la culture

Je me souviens du voyage culturel au pays des Ouzbeks à l’occasion d’un Festival des « Mélodies d’Orient » organisé par l’Unesco au mois d’Août 2001, où l’Algérie fut représentée par l’orchestre du Maestro Hadj Mohamed Fergani, accompagnant  la délégation algérienne. Pour moi après dix ans je revenais pour voir de visu le développement d’un pays  devenu indépendant  et qui sortait de l’Ex.URSS.

Et voilà que Djoul Travel de Tlemcen organise du 28 Mars au 08 Avril 2016 une « Rahla » sur les traces de Sidi Boumediene de Tlemcen  à Samarkand dans une découverte du mausolée de Sidi Boukhari, lieu saint où la culture soufie donne toute une spiritualité ancestrale dans cette République asiatique de l’Islam et des sciences présidée par  Islam Karimov. Mes amis le Pr Sari Hikmet et Rachid Benmansour m’avaient demandé de faire publier mes notes de voyages écrites il y a quinze ans.   

Nous prîmes place dans l’avion dénommé  « Fergana » un Airbus de la compagnie ouzbek  avec l’orchestre hadj  Mohamed Tahar Fergani pour se rendre à Tachkent.

Dans une traversée de sept heures et demi  de Paris- Roissy, après une courte escale à Amsterdam, pour la première fois dans le cadre des relations culturelles une présence algérienne au Festival International des « Mélodies d’Orient » qui se tient tous les deux ans à Samarkand  en collaboration avec l’UNESCO représentée  par le maître incontesté du malouf hadj Mohamed Tahar Fergani et les cinq membres de son orchestre.

Accompagnée par le Docteur Haichour  Boudjemaa  chercheur en patrimoine, la délégation a été accueillie par les membres de l’ambassade d’Algérie  en  Ouzbékistan dont la personne de S.E Hacène Laskri  notre  ambassadeur à Tachkent   qui a déployé tous les efforts pour que l’Algérie participe à cette rencontre Internationale des musiques traditionnelles.

Le Ministre de la Culture et de la Communication a facilite le départ de l’orchestre de Hadj Mohamed Tahar Fergani alors que les  billets de transport de Paris – Tachkent  et retour et la  prise en charge, hébergement et restauration de la délégation fut  prise comme pour l’ensemble des invités par le Ministère Ouzbek de la Culture.

SAMARKAND OU LE FESTIVAL DES MELODIES D’ORIENT

Dès l’arrivée à l’aéroport les délégations furent  acheminées  par bus vers Samarkand distante de la capitale d’environ 400 kilomètres et hébergées  à l’hôtel  Afrosiab.  Le décalage horaire était  de 04 heures  et la fatigue du voyage se lisait sur  les visages.

La cérémonie d’ouverture à laquelle étaient conviés les ambassadeurs fut grandiose et féerique  sur l’esplanade Registant Square de Samarkand  où couleurs  et Mélodies  donnaient  l’air de fête.

C’est dans Samarkand que l’Algérie renoue  avec la tradition musicale   dont  les  sons et la lumière  reflètent  un passé d’une civilisation de grande portée universelle. C’était le coucher du soleil et des voix  multiples dans une mosaïque de costumes  dans un ciel recouvert de feux d’artifices qui illuminaient l’ouverture du festival.

Dans Samarkand   ville riche de vingt siècles, constitue  un des berceaux de la civilisation musulmane, elle connut  un éclat particulier sur la Rive-Sud  Zarafshan à une altitude comparable à celle de Constantine.

Avec le même climat, Samarkand est partage la même gastronomie et la même musique. Samarkand est un des plus beaux sites du monde. « Samarkand, disait Amin Maalouf, est la plus belle face que la terre ait jamais tournée vers le soleil ».

 OUZBEKISTAN FOYER DES ARTS ET DES SCIENCES

Moi qui avais déjà visité cette belle cité de savants lorsqu’elle était sous domination Russe  dans l’ex URSS dans  je  la retrouvais plus belle encore. Et lorsque  Amin Malouf fait parler Omar Khayyam qui avait onze ans après la mort d’Ibn Sina,  il disait « Lorsqu’un lettré, à Boukhara, à Cordoue, à Balkh où à Baghdad, évoque Abou Ali Ibn Sina, célèbre en Occident sous le nom d’Avicenne,celui-ci le mentionne sur un ton de familière déférence  et le vénère comme le maître indisputé de sa génération, le détenteur de toutes les sciences, l’apôtre de la Raison ».

Samarkand un lieu de rêve qui vous renvoie à une sorte de contemplation.Le peuple décide à recouvrer sa personnalité et son identité, les  lieux  et les héros du peuple Ouzbek  ainsi que la langue sont réhabilités comme pour exprimer une certaine fierté d’un passé florissant de sciences et d’art. Oui Samarkand   est situé dans une vaste oasis  elle signifie de par son nom ville de la rencontre Samarya = rencontre et kand en iranien = ville.

Il faut dire au début du VIII ème  siècle Samarkand était aux mains  du Califat omeyyade  et en 732 les troupes  de Qouteyba  ibn Muslim occupa  la ville lors de démembrement du Califa Abbasside  du IX siècle, le pouvoir passa en Transoxiane à la dynastie locale  des Tâhirides  puis aux Safarides qu’ Ismail Ibn Ahmed renverse pour fonder  le royaume Samanide  où commence la renaissance de Samarkand .

 RESTAURATION DES VESTIGES DEPUIS TAMERLAN

Mais  sous   le règne de l’émir Timour (Tamerlan 1369-1405) que Samarkand est devenue la capitale d’un  immense empire qui va de Lind de l’Inde jusqu’en Égypte. Elle connaîtra alors un développement architectural des plus remarquables dont elle garde les vestiges d’ailleurs restaurés  dans les normes.

Samarkand échoit  ensuite à son  petit-fils Ulug beg astronome,  poète et musicien qui règne durant quarante ans de 1409 à 1449 et fait  construire l’une des deux madrasas qui bordent  le fameux Régistan  ou place des sables.

Mais ce retour aux grands hommes  de l’histoire Ouzbèk,  ceux de la Résistance comme pour nous  l’Emir-Abdelkader,  C’est l’Emir Timour   appelé  en Occident Tamerlan (1336- 1405) qui va être la référence de la lutte du peuple Ouzbèk contre la domination étrangère. Il fut l’un des plus grands conquérants de son temps .

De la Volga à Damas, de Smyrne à Gange  l’Emir Timour   a marqué son époque.Timour( homme de fer ) ou  Tamerlan est né le 8 avril 1336 à Kesh au sud de Samarkand, associé  au Gengiskhanides par son mariage en 1397 avec la fille du dernier Khan  de Djaghatai Khizir khodja.

La transoxiane  constituait  alors une sorte de  Confédération turque  dans laquelle Taragai père de Timour régnait à Kesh de 1370 à 1405 l’Emir Timour conduit dans toutes les directions d’incessantes expéditions de Khawarazm au Turkestan de Delhi en Afghanistan de Perse en Iraq, Azerbaïdjan, Géorgie , Arménie , Anatolie , Alep. Damas  est sur la route de la soie. Son père meurt  le 19 janvier 1405, mais sera enterré dans son somptueux mausolée  à Samarkand.

Samarkand est une ville à visiter par ses vestiges comme d’ailleurs Boukhara et Fergana qui sont des musés à ciel ouvert, l’occupation russe de  Samarkand fut déjà au XIXe siècle le 02 mars 1868 par le général Kaufmann. Mais c’est le 02 décembre 1917 que l’armée rouge dirigée par le général Frounzé l’occupe et sera la capitale Ouzbèk de  1924 à 1930. C’est un centre intellectuel vivant par son opéra, son théâtre, son université et ses divers instituts. Elle garde à ce jour son statut de ville des sciences et de l’art.

  UNE SPATIALITE URBAINE VERDOYANTE

L’Ouzbékistan vingt cinq ans après son indépendance est un pays qui réhabilite sa mémoire collective et la civilisation Timouride. La mise en relief  de son aménagement spatial donne à la grande avenue  une vue sur le parc fleuri.

L’eau coule à merveille dans une ville verdoyante  couverte comme d’un habit naturel cette cité où l’écosystème est le plus sauvegardé.En Ouzbékistan vivent plus de cent ethnies  qui cohabitent en bonne intelligence. Le président ouzbek  Islam Karimov  ancien ministre des finances et secrétaire du Parti du temps de L’Ex URSS  est le Président de la République depuis la proclamation de l’indépendance le 31  avril 1991   essaie de redonner une certaine libéralisation économique à son pays exportateur du coton dont il se place au deuxième rang mondial  après celui des USA.

L’Ouzbékistan qui venait il y a quinze ans de célébrer le dixième anniversaire de son indépendance à laquelle assista la délégation algérienne devant plus de cinq mille invités présents à la cérémonie conviés à suivre une grande chorégraphie retraçant les épopées glorieuses de l’histoire Ouzbek.

     UNE NATION AU CENT  ETHNIES

Fantastique cette mosaïque des couleurs et des voix superbes qui se sont succédées sur le podium dressé pour l’occasion. On observe une nation qui se compose de plus de  cent  ethnies, des tadjiks, des tatars  des coréens, des turkmènes,  des russes  en nombre réduit  depuis que l’Ouzbékistan a recouvert sa liberté.  Il y a aussi des Ukrainiens, des Kazakhs, des Azerbaidjanais des Azéries, des  Turcs,  des Juifs des Kirzghizs, etc …

Le brassage des populations a fait naître un type d’homme ouzbek dont en  se garde aujourd’hui de sauvegarder l’identité car les  alliances et les  mariages mixtes ont scellé une sorte d’osmose communautaire. Le passage de l’orchestre hadj Mohamed Tahar Fergani  lors du festival a laissé les gens sur leur faim d’autant qu’il était demandé à chaque troupe de ne pas dépasser les 15 minutes contenu du nombre important des groupes qui se sont produits dans cette rencontre des mélodies d’Orient.

UNE ECONOMIE  OUZBEK DE MARCHE EN TRANSITION

Au point de vue démographie l’Ouzbékistan qui compte environ 25 millions d’habitants au moment où nous le visitions est à 71 % d’ethnie ouzbek sauf dans la capitale Tachkent  où la situation économique montre au-delà de l’auto suffisance alimentaire une certaine morosité.

Après le départ des Russes le gouvernement Ouzbek est sortie de la zone rouble,  en créant sa propre monnaie le Sum dont un dollar équivaut 2.857 UZS et un euro se change officiellement à 3.135,9 UZS en ce moment. Le passage à l’économie de marché a crée de nouveaux riches. Le PIB/Habitant en PPA équivaut 2200dollars US. Le taux de croissance est de 7%.

Il développe une politique volontariste  les réserves de change atteignent 16 mois d’importations pour un pays riche en gaz naturel, en uranium et en pétrole. Sa réforme économique graduelle le place en cinquième position de production de coton et quatrième en réserves d’or dans le monde.  Réélu depuis Mars 2015, le Président âgé de 77ans  préside les destinées de son pays avec un pouvoir législatif bicaméral constitué d’un Sénat de Cent sièges dont 84 élus par les Conseils régionaux et 16 nommés par le Président tous pour une durée de cinq ans. La chambre basse est composée de 120 députés élus pour cinq ans dont quatre Partis occupent les 150 sièges de la chambre législative.

EVOCATION DE DIEU DEVANT LE SANCTUAIRE DE L’IMAM BOUKHARI

L’important de souligner c’est l’effort de reconstruction dans un style architectural qui reflète la richesse de ses décors de style Perse. A voir ces mausolées remarquables et surtout la nécropole où se trouve la sépulture de l’imam Boukhari Docteur en théologie, dont  l’enceinte a été totalement restaurée depuis l’indépendance du pays démontre l’attachement de ce peuple à l’Islam.

C’est en ce  lieu où nous nous sommes recueillis après avoir récité la Fatiha et évoquer Dieu devant la tombe de Sidi El Boukhari et visité la mosquée y afférente passage obligé pour les futurs pèlerins ouzbeks. La construction du Parlement, du théâtre et surtout l’un des plus beaux métros du monde dans une harmonie où les grandes avenues fond de Tachkent une cité dans l’aménagement du territoire respecte l’espace environnemental urbain avec toute sa végétation verdoyante et d’un tapis floral. A Samarkand capitale de Tamerlan et de son petit-fils Ulug Beg astronome, on y construisit  l’Observatoire dont les travaux permirent  de découvrir La durée de rotation de Saturne en 1447.

IBN SINA LE PRINCE DES SAVANTS

On ne peut oublier dans ce pays le fils de Boukhara Ibn Sina Avicenne  qui à dix  ans réciter par cœur le Coran, philosophe, poète, médecin infatigable,   quêteur de savoir qui a préféré les idées au pouvoir Ibn sina  fut le plus grand génie de son temps.

Dans cette source de splendeurs Ibn Sina expliqua les  finesses du système astronomique de Ptolémée, la logique d’Aristote approfondit  l’algèbre, la géométrie et l’art. Son appétit du savoir est insatiable  sa curiosité sans limite, sa mémoire  fabuleuse, on le surnomma  le Prince des savants, plus qu’Hippocrate il exposa toutes les pathologies des maladies majeures.

C’est donc dans cette route de la soie où toutes la richesses  du monde  y transitaient  en Asie centrale hadj Mohamed Tahar Fergani et  son fils Salim ont chanté les plus beaux morceaux du malouf constantinois accompagnés de Mohamed Bouchareb dit  Faty à la derbouka nasreddine et riad  Fergani à la mandoline et à la guitare    ayachi  Mohamed  tahar Dit minou à la flûte,  l’orchestre a interprété des extraits de nuba Zidane considéré parmi les plus anciennes dont Ziryab  avait   composé  la mélodie et les paroles .

 

 

HADJ  MOHAMED TAHAR FERGANI AUX ENVOLES  MELODIQUES

Par sa voix chaude Hadj  Mohamed Tahar Fergani soutenu par le jeu  émérite de luth de son fils Salim  a subjugué son public. Une poésie impétueuse de brûlante frénésie qui a fait vibrer les âmes  au rythme d’une mélodie transcendantale  par sa musicalité et le duo en harmonie père et fils, l’orchestre Fergani a laissé en éveil les rêves embaumés  où la langue des passions,  des symboles et des métaphores dans l’ordre des sonorités andalousiennes  ont exprimé un message d’amitié au peuple ouzbek dans l’alternance des solos  musicaux  au violon le luth arbi , la  flûte, la  mandoline , guitare et percussions.

Hadj  Mohamed Tahar Fergani maitre majestueux  a   conquis la plénitude des ouzbèks en répondant à Samarkand l’écho d’un  rituel  d’une chanson éternelle, avec les envols mélodiques.  Salim  a ajouté un bémol à l’interprétation harmonieuse de la nouba dans l’esplanade des Régistan  square sous un clair de lune resplendissant.

L’Algérie a été honoré par un diplôme décerné à l’orchestre Hadj  Mohamed Tahar Fergani par le Président du Festival international des mélodies d’Orient de Samarkand.  C’est lors de la rencontre avec S.E  l’ambassadeur qui a échangé des points de vue avec la communauté algérienne résidente à Tachkent que prend fin notre voyage.

L’occasion fut donnée à Salim  et surtout  leur   père Hadj Mohamed Tahar Fergani d’interpréter des morceaux du recueil andalou- Constantinois pour les étudiants et leurs familles venues  écouter les airs du Pays dans la ville de Samarkand, ville princière devenue patrimoine universel qui séduit incontestablement tout visiteur par son architecture au raffinement sans égal remplie d’harmonies que nous a léguée cette civilisation musulmane et la fascination de l’Islam dans cette contrée.

La musique s’exécute dans cette nostalgie loin du pays.  Complainte et  murmure, rime et  mesure  animent la soirée d’adieu où l’âme et le cœur s’en vont  voyager dans l’imaginaire d’une rêverie  qui n’a duré qu’un instant, une tranche de vie. C’est sans doute que sur les traces du Malouf que Tlemcen à travers le voyage spirituel de « Djoul Travel »  fera de la rencontre avec la culture  soufie,  un autre souffle de la vie dans les odes mystiques. Car celui qui « connait l’errance et la guidance, la distance n’est pas longue pour lui. Il sait que Dieu n’abandonne pas ses créatures en pure perte, pas plus qu’Il  ne les a délaissées lors de la création  originelle. » rappelle Ibn Al‘Arabi dans les illuminations Mecquoises.

(*) Par Dr Boudjemaâ HAICHOUR

Chercheur Universitaire-Ancien Ministre

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